kanchanaburi, Thailande

L’éléphant est il un cheval comme un autre ?

Voilà la question qui m’a hanté toute la semaine où nous étions au Ganesha Park (il y a 2 semaines de cela maintenant)

A mon arrivée, je suis en effet forte de mes 5 semaines d’enseignements passées à la WFFT, prête à défendre la cause animale.
=> 5 semaines de formatage misent à mal par une autre façon d’appréhender ce majestueux animal.

Les deux parcs ont  peu de points en commun :
22 éléphants séjournent à la WFFT contre 7 au Ganesha, microcosme français au milieu des thaïs (fondateur français, gérante/barmaid française, photographe français et clients uniquement français)
Néanmoins, une similitude:
Tous les éléphants séjournant ici sont issus de l’industrie du «trekking », c’est-à-dire les camps de ballade sur une nacelle installée sur le dos d’un éléphant. Tous sont arrivés en piteux états et sont à présent bien nourris et bien soignés.

téléchargement
le trekking c’est ça

 

A présent pour bien comprendre ma tourmente, il est indispensable de faire un petit cours sur l’éléphant:

1 – Que peux supporter ou non le physique d’un éléphant ? C’est mal le trekking?
Un éléphant n’est pas aussi fort et résistant que ce que son physique pourrait laisser penser. Sa morphologie ne lui permet pas en réalité de supporter de poids sur son dos, contrairement à sa nuque (un poids qui reste tout relatif)

« Mais pourtant, les ballades sont sur leur dos ?  »
C’est bien le problème !!!!
Un éléphant d’Asie pèse en moyenne 3 à 5 tonnes. Il ne peut porter que jusqu’à 150 kg sur son dos.  Avec la nacelle (jusqu’à 100 kg), les touristes (± 140 kg)  et le mahout (± 60 kg)  on est rapidement loin du compte….

Imaginez vous porter votre backpack toute la journée et tous les jours de votre vie...
Le mal de dos est le fléau de notre société… mais aussi celui de la « société éléphante »  
MAIS QUE FAIT LA MEDECINE DU TRAVAIL ?? 

A cela s’ajoute de nombreux autres actes de maltraitance fréquemment rencontrés dans les parcs à touristes:  coups à répétitions, insuffisance alimentaire, insuffisance en eau, épuisement (1 tour à touriste = argent…donc les tours sont fréquemment enchaînés sans pause de la journée).

Beaucoup d’éléphants domestiqués n’ont connu que ce rythme de vie et n’ont jamais eu la possibilité d’évoluer dans un milieu sauvage, ni même de socialiser naturellement avec d’autres animaux ce qui est fondamental pour leur santé physique et mentale.
Nombreux conservent des traumas de leur vie de travail (mais aussi du dressage voir ci dessous) et des conditions de vie.

Exemple: Pun, éléphante à la WFFT avait un  » stéréotype« (comportement compulsif et répétitif, symbole de mal être notamment pour les animaux sauvages domestiqués) réminiscence de sa vie en captivité =>  elle dodelinait de la tête et étirait en permanence sa jambe arrière gauche

(ndlr. Un autre fléau concerne l’industrie du « logging », port des charges de bois, interdit à présent en Thailande mais pas au Laos, mais ce n’est pas l’objet de l’article)

2 – Comment se passe le dressage d’un éléphant ?
Contrairement à notre ami le chien qui s’est plus ou moins domestiqué par lui-même au contact  de l’homme (voir très bon article ici), l’éléphant est par définition un animal SAUVAGE.
Son comportement naturel n’est donc pas d’être nourri par l’homme, de marcher à ses côté, d’être monté, et encore moins d’effectuer des travaux ou des numéros de cirques (ceux-ci étant d’ailleurs partiellement interdits à présent, en fonction des pays)
Pour réaliser tout cela, il nécessite d’être dressé.
Or, il y a « dressage » et « dressage »… et celui de l’éléphant est particulièrement violent et cruel, plus proche de la torture que de l’éducation.

Cela s’appelle le PHAJAAN

Le processus de « Phajaan »  trouve son origine dans les communautés des tribus montagnardes en Inde et en Asie du Sud-Est, situées dans des zones où les éléphants se trouvent naturellement.
On dit que la «cérémonie» de Phajaan est née de la croyance que le chaman de la tribu peut séparer l’esprit d’un éléphant de son corps, chassant ainsi l’esprit volontaire et sauvage d’un éléphant et le laissant sous le contrôle de ses gestionnaires, c’est-à-dire mahouts.
Il a été détourné pour appeler plus communément la phase de dressage de l’éléphant. 

ETAPE 1 – L’éléphant ou souvent l’éléphanteau, en général âgé de 2 à 4 ans est arraché à sa mère
ETAPE 2 – L’éléphanteau est enfermé dans un cage de bambou et assénés de coup de bambous et de piquets dans la chair (cf dacco ci dessous), sur les points les plus sensibles: tête, trompe, joue, queue, articulations, intérieur et extérieur des oreilles….

blog voyage promenade elephant thailande asie phajaan
les points sensibles – source PETA

Cela pendant 3 à 5 jours NON STOP => une vidéo édifiante ici
Afin de garantir de meilleurs résultats, les éléphants sont également assoiffés, affamés et maintenus éveillés.

 

 

 

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D’après les études, nombreux sont les éléphants qui ne survivent pas à ce process ( en moyenne 1 éléphant sur 2)

Pour les survivants, et au terme de ce châtiment, l’éléphant capitule. On dit alors que «son esprit est brisé», totalement dissocié de son enveloppe corporelle. Il est à présent malléable et prêt pour la phase suivante

ETAPE 3 – Le dressage: le mahout (également appelé cornac) enseigne à l’éléphant les commandements à l’aide de sa voix et de son dacco.
La brutalité du dressage dépend du mahout, de l’éléphant et du travail qui sera demandé à l’éléphant (travaux, cirque, éléphant peintre ou qui joue au ballon ……… )

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Le dacco (credit « Seth&Lise)

Voilà donc l’astuce: toute sa vie, le lien qui unit le mahout à son éléphant est la peur.
Il obéit donc à des ordres dictés par son mahout, à l’aide de la voix ou du dacco, par crainte d’être à nouveau torturé et non par un tendre lien affectif.
Une sorte d’épée de Damoclès permanente au dessus de la tête, en forme de dacco.

D’après la légende (je n’ai pas trouvé de source officielle pour confirmer cela) la méthode du phajaan serait interdite et également moins pratiquée.
Légende également car il n’existe pas à l’heure actuelle de méthode alternative pour dresser un éléphant.

Autre point à retenir: la domestication de l’éléphant est irréversible !!!
=> un éléphant dressé ne pourra jamais revenir à son état naturel.

On en vient alors à la question cruciale (et donc retour à mes tourments):
Comment considérer un éléphant déjà domestiqué ?

Et c’est là que le mât blesse.

  • A la WFFT, un éléphant rescapé mérite une retraite paisible, loin du souvenir du phajaan.
    Ils sont donc installés dans de grands enclos, libres de voguer à leur gré durant la journée. Malgré tout il s’agit d’une semi liberté, les mahouts n’étant que rarement loin, les contacts avec les volontaires fréquents ainsi que, ponctuellement pour certains éléphants, avec les touristes.
  • Au Ganesha, un éléphant domestiqué reste un éléphant domestiqué.
    Ils sont attachés à l’aide de longues chaînes dans la nature une partie de la journée et la nuit. Ils sortent 2 fois par jour plusieurs heures, avec touristes pour la plupart, seuls avec les mahouts parfois. La ballade se fait à cru sur la nuque et emmène les éléphants jusqu’à la rivière Kwai où il reste environ 1h matin et soir.

Lorsque je suis arrivée au Ganesha, ayant un petit historique sur le dressage de l’éléphant, je n’ai tout d’abord pas souhaité monter.

C’est alors que l’on m’à rétorqué la  «THÉORIE DU CHEVAL», de ma propre appellation.

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à dada sur mon poney

=>  » Monter sur un éléphant n’est pas pire que ce que l’on fait au chevaux » 
Et oui, à son état naturel, un cheval ne tolérerait ni mors, ni selle, ni humain sur son dos. Une fois le dressage réalisé (le « débourrage »), il doit alors endurer durant des années des tours de manèges, de sauts d’obstacles et de compétitions pour notre plus grand bonheur.

Bon une petite différence tout de même: on est plus en Antiquité, en suivant les méthodes alternatives de dressage un bon débourrage se fait sans violence et progressivement.Et contrairement à l’éléphant le dos du cheval peut parfaitement accueuillir un humain etc
Mais il est vrai que dans le milieu équestre il y a encore beaucoup de points noirs à supprimer, notamment pour les chevaux de courses en fin de carrière….

C’est alors que le Ganesha marque ici un point et commence à titiller ma conscience:
=> L’éléphant ne serait il en Asie qu’une nouvelle forme d’équitation ? Est il encore ok de monter après ce qu’on leur a fait endurer?

Mais DIABLE, Quelle est la solution pour ces éléphants domestiqués ? Dites moi! 
Une réserve sans contact avec l’humain, en sachant qu’il leur est impossible de retourner à l’état naturel ? Ou bien simplement leur offrir des conditions de vie optimales sans maltraitance ? Avec ou sans touriste ? Avec ou sans ballade ?

Impossible de trouver une solution à cette équation sans prendre en compte les variables suivantes:
– Aspect culturel: pour nous l’éléphant est un animal exotique intouchable. Ici, c’est un animal commun (néanmoins sacré)  domestiqué depuis des siècles. Et on change pas les us et coutumes d’une société en 24h….
– Impact économique en Asie de l’industrie du tourisme des éléphants (voir ici un article intérressant à ce sujet).
Un éléphant s’achète comme un cheval, mais néanmoins bien plus cher, et doit être rentabilisé. Pour beaucoup d’asiatiques il est une unique source de revenu

« Les cornacs travaillent de longues heures sans aucun jour de repos. Nombre d’entre eux sont forcés de surexploiter leur éléphant pour gagner assez d’argent afin de nourrir leur animal et leur famille »
Louise Rodgerson, fondatrice de l’ONG de protection des éléphants Ears Asia,

C’est alors que j’ai compris à quel point il est compliqué d’arriver avec nos grands sabots de colons blancs, pleines de bonnes intentions mais à des lieux des pratiques culturelles ici.

Et voilà donc l’idée initiale du Ganesha => comme il est impossible de rayer de la carte le tourisme des éléphants, autant proposer une autre forme de tourisme, en éduquant touristes et mahouts.

Au final je me suis laissé prendre par leur discours et suis montée par deux fois sur l’éléphant:
Très égoïstement la sensation peau à peau avec cet animal majestueux est bouleversante.
Cependant:
– la première fois avec le groupe de touristes, je n’ai pas apprécié et eu un sentiment très amer et des regrets d’avoir participé à ce que j’ai trouvé être une mascarade
– la deuxième fois, seule avec un mahout (presque. Il y avait Brenda et Ski dans les parages).
L’éléphant était lâché dans la nature pour manger à sa guise branchage et manioc, sans contrainte ni jeu de cirque. Ma présence presque imperceptible pour Yani l’éléphante.
On peut donc dire qu’il y a donc l’art et la manière….

Avec le recul, ma conscience a été tellement torturée pour savoir si ce que je faisais était mal ou non, que rien que pour m’épargner cela je ne remonterai pas sur un éléphant.
(De toute façon l’opportunité seule avec le mahout ne se reproduira pas)

 

SI ON FAIT LE BILAN
Monter ou ne pas monter, telle est toujours ma question (bien que ma balance penche pour  un non)
Quelque soit notre approche (marcher à côté de l’éléphant, le toucher, le doucher et peut être même le monter), tout cela est possible uniquement à cause  du dressage…
Ce qui prime avant tout, c’est que l’animal soit à présent bien traité et au plus proche de son environnement naturel. 

Au final ce qui m’aura le plus dérangé dans mon expérience au Ganesha Park c’est la façon de faire
=> Photo avec l’éléphant couché, photo pour les touristes dans la trompe, mahout adolescents qui sautent depuis la tête de l’éléphant ou du dos d’un pachyderme à un autre, comme un vulgaire tremplin… tout autant de pratique que je trouve irrespectueuse pour l’animal, et qui m’ont dérangé.

 

 


De plus ils devraient sérieusement considérer la construction d’enclos pour que les bêtes puissent enfin évoluer en liberté.
Bref pour moi le Ganesha, pourtant une institution bien connue des français, a du chemin à parcourir avant que cela soit idéal.
(bon et en plus de ça les hébergements sont pourris, l’ambiance avec les autres volontaires étaient conflictuelles et la notion d’eco volontariat, on peut en reparler hein !!! porter des tongs et des bouteilles, merci bien!) 

 

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Terminons sur une photo positive toute de même 🙂

 

Si le sujet vous interresse, voila tout plein de lien:

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